NOVEMBRE 2010
lunettes de vue en ligne
Le ministère de la santé ne s’oppose plus à la vente de lunettes de vue et lentilles en ligne. Désormais, les achats peuvent même être pris en charge par l’assurance maladie et les complémentaires santé.
Acheter verres, lunettes ou lentilles correctrices sur Internet ? C’est une chose courante depuis déjà de nombreuses années en Angleterre ou aux Etats-Unis. Dans l’Hexagone, l’interdiction du « colportage », imposant la vente par un opticien diplômé dans son magasin, a longtemps freiné l’émergence de sites français. Rien n’empêchait les consommateurs de se fournir sur un site domicilié à l’étranger, mais ils ne pouvaient prétendre à aucune prise en charge par l’assurance maladie.
Depuis deux ans, la donne a changé. L’Europe est passée par là, menaçant dès 2008 la France d’une procédure pour « entraves à la vente en ligne de produits d’optique-lunetterie ». Le ministère de la Santé a donc fini par assouplir son interprétation de la loi, et déclaré officiellement le 12 juin 2009 qu’il ne s’opposait pas à la vente en ligne de lunettes et lentilles. A condition que les « e-opticiens » respectent les règles d’exercice de la profession, de conseil au patient et de sécurité. En clair, qu’ils disposent d’opticiens diplômés pour réaliser les commandes et pour répondre aux demandes des clients.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher une vague de création de sites d’optique en « .fr » sur le Web. Profitant d’un vent favorable, la plupart ont fait les démarches auprès des autorités sanitaires pour être agréés. A l’arrivée, un avantage considérable pour les consommateurs : il est désormais possible de se faire rembourser par l’assurance maladie, puis par sa complémentaire à condition d’avoir une couverture optique suffisante. Car, comme les opticiens traditionnels, et sous réserve de leur avoir transmis une ordonnance au moment de la commande, les sites délivrent en même temps que la facture une feuille de soins qu’il suffit d’envoyer à la Sécurité Sociale pour être pris en charge.
Ces évolutions sont manifestement encore insuffisantes pour convaincre les porteurs de lunettes, qui, malgré des prix lunettes de vue bien plus attractifs qu’en magasin, hésitent toujours à franchir le pas. Et on peut les comprendre. Choisir des lunettes sur Internet n’a, en effet, rien d’évident. Difficile, par exemple, d’imaginer à l’avance si la monture conviendra, si elle ne sera pas trop serrée derrière les oreilles ou si elle tiendra bien sur le nez. Or, l’esthétique et le confort ont leur importance pour un équipement qui se porte souvent plusieurs heures par jour. Les sites d’optique proposent bien de télécharger une photo et d’y plaquer les montures. Mais un cliché figé n’est pas toujours fidèle à un visage en mouvement. Et l’intérêt est tout simplement inexistant quand, sur la plupart des sites, on peut faire varier à loisir la taille de la monture ! Quelques-uns, comme happyview.fr, vont un peu plus loin et donnent la possibilité à leurs clients de se faire envoyer une ou plusieurs montures à domicile, pour les essayer et avoir l’avis de leurs poches. Toutefois, cela coûte à chaque fois quelques euros, ce qui renchérit d’autant le prix final des lunettes.
Autre obstacle difficile à surmonter : les mesures. Pour centrer correctement, ne serait-ce que des verres simples sur une monture, un opticien a besoin des deux « demi-écarts pupillaires », c'est-à-dire la distance entre la racine du nez et chaque œil. Dans le circuit traditionnel, tout est relevé de façon précise en magasin à l’aide d’un appareil spécifique. Par Internet, la manœuvre est plus délicate. Même si, en deux ans, l’éventail des possibles s’est élargi. Aujourd’hui, les sites ne se contentent plus de conseiller aux internautes de se planter devant un miroir et de se débrouiller avec une règle. Ils recommandent en priorité de demander les demi-écarts pupillaires à l’ophtalmologue au moment de la consultation. Cependant, celui-ci n’est pas tenu de les fournir. Et puis on ne va pas systématiquement chez l’ophtalmologue avant d’acheter des lunettes, surtout depuis qu’il est possible de faire renouveler une ordonnance datant de moins de trois ans.
La solution de secours consiste à faire prendre son visage en photo, à une distance de trois ou quatre mètres, avec une règle graduée plaquée sur le front ou une feuille blanche de format A4 tenue au niveau du visage, juste sous les yeux. A partir de là, l’opticien qui va traiter la commande peut déduire les demi-écarts pupillaires. Plusieurs méthodes existent et elles ne sont pas forcément contestées par l’Union des opticiens (UDO). « L’informatique permet aujourd’hui de prendre des mesures à distance, c’est indéniable, reconnait Henry Pierre Saulnier, son président, mais ce n’est fiable que pour certaines corrections. Les forts handicaps, au-delà de -5 pour la myopie et de +5 pour l’hypermétropie et les verres progressifs, appellent des mesures complémentaires. »
Easy-verres.com, un site lancé récemment, a contourné la difficulté en limitant son offre aux verres. Une fois qu’il les a reçus par courrier, le client n’a pu qu’à se rendre chez un des 600 opticiens classiques avec qui le site a passé un accord. L’inconvénient est qu’il devra y choisir une monture, qu’il paiera donc au prix fort. Avantage : le professionnel monte les verres en les centrant précisément. Et une fois les lunettes terminées, il procède au réglage des branches sur le visage du porteur, là où le client Internet peut se sentir démuni s’il constate, à réception de sa commande, que les lunettes sont légèrement tordues ou qu’elles glissent sur son nez.
Le marché va évoluer
D’autres sites ont bien compris l’intérêt, pour pallier les défauts du net, de se constituer un réseau d’opticiens partenaires, ou de disposer d’un ou plusieurs magasins en propre. Ainsi, optic-direct.fr, d’abord exclusivement basé en Corée, a ouvert deux points de vente Eco-Optic à Nantes et à Marseille, et deux autres sont sur le point d’être inaugurées à Bordeaux et à Marseille. « Ces magasins sont ouverts aux clients du site qui désirent faire mesurer leurs écarts pupillaires ou essayer les montures, qui les intéressent », souligne Karim Khouider, responsable de la société. Happyview.fr s’appuie également sur quelques opticiens traditionnels, mais uniquement pour les ajustements de la monture.
Au total, l’idée que tout est possible par Internet en matière d’optique n’a pas encore trouvé de démonstration éclatante. Priver totalement le patient de la présence de l’opticien se révèle difficile. De leur côté, les opticiens traditionnels, longtemps opposés au commerce en ligne, sont en train de réaliser qu’Internet a des atouts. Selon un sondage du magazine Acuité, 40% d’entre eux ont ou vont mettre en place une « vitrine » sur le Web, et 20% envisagent carrément de vendre par le biais d’Internet. La chaine Optical Center dispose déjà d’un site, avec des forfaits d’entrée de gamme plutôt intéressants, à 39€ pour les verres unifocaux, 99€ pour les progressifs. Nul doute que, dans les mois qui viennent, le secteur va connaitre encore beaucoup de bouleversement
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